Tilvera : Un imbécile a affirmé que chaque nouveau-né, quels que soient le jour et le lieu de sa naissance, est capable de comprendre n’importe quelle langue humaine en un temps très bref, sans aucune explication d’un professeur ni exercice pédagogique sophistiqué.
Ónytjungur : Si je ne me trompe pas, la logique humaine n’autorise que deux manières possibles d’envisager l’univers.
Tilvera : Et quelles seraient-elles ?
Ónytjungur : On pourrait dire que soit il n’existe que l’univers, soit il existe quelque chose en dehors de l’univers, donc quelque chose qui n’est pas contenu dans l’univers.
Tilvera : La théorie des ensembles. Et donc ?
Ónytjungur : Dans le premier cas, il est impossible d’ajouter ou de retirer quoi que ce soit à l’univers, tandis que cette possibilité existe dans la deuxième hypothèse.
Tilvera : Mais encore ?
Ónytjungur : En supposant que le premier cas soit vrai, alors tout devrait nécessairement être déjà contenu dans l’univers, et ce pendant toute la durée de l’univers.
Tilvera : Qu’entends-tu par tout ?
Ónytjungur : La totalité.
Tilvera : L’homme aussi ?
Ónytjungur : La capacité de le développer à partir de quelque chose d’existant, donc le potentiel.
Tilvera : Foutaises que tout cela.
Ónytjungur : Prenons toi, par exemple. Tu te trouves en cet instant au bout d’une chaîne dont tu es le dernier maillon, puisque tu n’as pas encore engendré d’enfant. Si mes informations sont bonnes, tu es le résultat de l’union de deux êtres humains de sexe différent, et je me permets de supposer que ces deux humains étaient eux-mêmes le résultat de deux humains de sexe différent, qui eux-mêmes… Je continue ? Je pose la question, parce que ça risque d’être long.
Tilvera : Mais l’homme n’a pas toujours été un homme, avant cela il était singe, et avant cela… Je continue ? Je pose la question, parce que ça risque d’être long.
Ónytjungur : C’est exact. La chaîne que je décrivais est-elle pour autant interrompue ? Ou n’a-t-on pas plutôt délimité des sections de cette chaîne ininterrompue et attribué à chacune d’elles un identificateur ?
Tilvera : Eh bien, on peut observer au zoo que les singes, eux aussi…
Ónytjungur : Et qu’en est-il des reptiles ? Je pose la question juste au cas où l’une des sections devait…
Tilvera : Il existe des indices qui démontrent qu’un être vivant repose sur l’union d’un être vivant préalable, quels que soient l’art et la manière de cette union.
Ónytjungur : Les bactéries aussi ?
Tilvera : Oui, par division cellulaire asexuée.
Ónytjungur : Là aussi, cela suppose l’existence d’une bactérie préalablement vivante.
Tilvera : C’est ce qu’il semblerait. Les bactéries peuvent même échanger des gènes entre espèces différentes, et sont capables d’intégrer dans leur propre ADN des fragments d’ADN fossile tirés de leur environnement.
Ónytjungur : Nous pouvons donc supposer l’existence d’une chaîne ininterrompue dont tu es en cet instant le dernier maillon ?
Tilvera : Et avant les bactéries ?
Ónytjungur : N’est-il pas vrai qu’électrons, neutrons et protons s’assemblent pour former des molécules qui déterminent la forme, tandis que leur composition spécifique détermine les propriétés ?
Tilvera : Alors tout s’explique par la matière.
Ónytjungur : Je ne suis pas un matérialiste.
Tilvera : Alors il n’y a que des contenus de conscience.
Ónytjungur : Je ne suis pas non plus un idéaliste.
Tilvera : Alors le psychique et le physique sont deux domaines de l’être strictement séparés et dotés d’une existence autonome.
Ónytjungur : Et je ne suis certainement pas un dualiste.
Tilvera : Alors qu’es-tu ?
Ónytjungur : Qu’est-ce que j’en sais ? J’ai juste parlé du potentiel, c’est-à-dire de la capacité de développement, d’une chaîne ininterrompue au bout de laquelle tu te trouves, tel que je te vois, et du fait qu’on ne pouvait rien ajouter à l’univers. Demande aux gens qui affirment que cela fait de moi un solipsiste.
Tilvera : Un solipsiste métaphysique, éthique ou méthodologique ?
Ónytjungur : C’est à ceux qui me collent cette étiquette de te répondre.
Tilvera : Bon, ton opinion est plaisante, mais est-ce que tu as un concept pour la désigner ?
Ónytjungur : Il n’y en a pas.
Tilvera : Tu es conscient que les concepts sans opinion sont vides, tandis que les opinons sans concept sont aveugles ?
Ónytjungur : Plus que conscient. Il y a 900 ans déjà, un homme déplorait le fait qu’il existait désormais un mot pour lequel il n’y avait pas de réalité, et qu’il existait auparavant une réalité pour laquelle il n’y avait pas de mot.
Tilvera : Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
Ónytjungur : Qu’il n’y a pas de concept pour mon opinion. Mais tu auras certainement du mal à prouver que mes pensées étaient dépourvues de contenu.
Traduction: Cyrille Flamant