Le principe du cycliste

troll-imadeWEB-1« Toute politique, quelle que soit l’idéologie sur laquelle elle repose, est mensongère si elle ne reconnaît pas que le plein-emploi pour tous est devenu impossible et que le travail salarié ne peut plus constituer l’axe central de la vie, ni même l’activité principale de chacun.» (André Gorz, philosophe social)

Présent comme passé démontrent que l’analyse d’André Gorz est à l’évidence fondée et solide. Avec le concept de monnaie-hélicoptère récemment mis en circulation par la BCE, le roi est définitivement nu aux yeux de tous, et l’extrapolation d’André Gorz se voit confirmée : «Un jour, le capitalisme devra s’acheter ses clients en distribuant gratuitement des moyens de paiement. »

On commence à comprendre que ce n’est pas l’employeur qui fournit le travail rémunéré, mais le consommateur, car celui-ci crée du travail rémunéré, tandis que l’employeur ne le fait que s’il ne peut l’éviter.

Mais pour cela, il ne serait pas nécessaire de distribuer de la monnaie-hélicoptère, il suffirait que les sociétés cessent de prélever des taxes même sur le minimum d’existence, c’est-à-dire sur ce qui est strictement nécessaire à la survie physique. D’une société qui se montre prête à prélever des taxes même sur le manque, il ne faut toutefois pas attendre qu’elle puisse empêcher des analyses exactes et précises de se plier dans le même temps à une absurde logique de maquignons, ni qu’elle remette en application le droit naturel à la nourriture et au logement dont chacun jouissait jadis. Elle persisterait probablement dans l’idée que le problème peut être résolu en recourant à des incitations au travail, alors même que ces incitations ne peuvent aucunement contribuer à réduire la pauvreté s’il n’y a pas assez de postes de travail. L’incitation au travail ne produit aucun poste de travail, la consommation oui.

Le 5 juin, les Suisses voteront pour décider s’ils veulent ou non instaurer un revenu de base inconditionnel. Ce nouveau terme ne désigne rien de moins que d’un très vieux vin, le droit naturel de chacun à la nourriture et au logement que la communauté reconnaissait jadis à chacun, car il aurait semblé absurde de le remettre en cause. En ce temps-là, on chassait, on cueillait, on cultivait les champs, et les fruits de ce travail – c’était une évidence – étaient partagés avec ceux qui pour diverses raisons ne pouvaient chasser, cueillir ou cultiver les champs. Mais en ces temps, cette partie de la population active n’avait que le strict nécessaire, et rien d’autre. Il faut avoir goûté une chose pour en connaître la saveur. Le reste n’est que divagation.

C’est Kurt Tucholsky qui, dès 1919, eut le mérite d’identifier une espèce dégénérée du genre humain, qui conduisit à la création ultérieure de l’expression allemande le principe du cycliste, qui désigne le comportement typiquement opportuniste d’un personnage autoritaire. En 1931, Carl Zuckmayer mettait ce principe dans la bouche de son Capitaine de Köpenick : «Voici un cycliste. Vers le bas, il appuie, vers le haut, il courbe l’échine ». On comprend pourquoi celui qui est enfin arrivé en haut exige que les autres courbent l’échine et ne puisse s’empêcher d’appuyer vers le bas.

runter_-_down_97917_page121Il n’est donc pas surprenant qu’en Allemagne, un enfant de chœur à effet yo-yo, un commerçant de détail qui aimait à s’entourer des status-symbols que sont un cigare et une bouteille de bière, et un délinquant dont les délits n’avaient pas encore été dévoilés [1] se soient demandé si l’on devait continuer à laisser le chômeur allemand se prélasser sur un hamac à Bali et y vivre de l’argent du peuple travailleur. Ce qui était forcément le cas, puisqu’un servant de messe, rien de moins, l’avait affirmé après des études de philosophie, lettres allemandes, histoire et théologie [2].

Pour qui est en bas, il est extrêmement difficile, et même impossible, d’appuyer vers le bas. Il faudrait pour cela extraire de ce bas un étage encore inférieur à définir, ceux du bas ayant alors à nouveau quelque chose en dessous d’eux sur quoi appuyer. Pour cela, on dispose de substantifs adéquats tels que juifs, tziganes, chômeurs, demandeurs d’asile, etc., et si ces mots ne produisaient pas un effet d’incitation suffisant, on peut y adjoindre d’autres, par exemple usurier, réfugié économique, assisté, etc. Dans sa transition d’un destin individuel vers une foule amorphe, l’homme se libère inévitablement de connaissances possibles, se décharge avec soulagement d’une souffrance perceptible, et l’injuste parvient à s’imaginer dans le rôle du juste. Plus l’ignorance est complète, plus les applaudissements sont nourris.

Les sociétés qualifiées de primitives par les prétendues sociétés de l’information basées sur la science n’auraient jamais eu l’idée absurde d’invoquer comme ultima ratio une injustice négative imposée à une majorité pour minimiser une injustice positive subie par un groupe moins important. Ces sociétés n’avaient pas connu les indispensables pédagogues de la civilisation, l’apôtre Paul et Adolf Hitler, qui nous enseignèrent que « qui ne travaille pas ne doit pas manger !»

Depuis lors, on a fait dépendre le droit naturel de tout individu à la nourriture et au logement de cette question : l’individu travaille-t-il ou non ? Bien évidemment, ces deux pédagogues considéraient leur propre activité comme un travail. La tâche du premier consistait à écrire et à réciter d’innombrables lettres, celle du second à envoyer des millions de gens à la mort.

Pour ce qui est du droit naturel de tout individu à la nourriture et au logement, on constate qu’à cette époque, les hommes savaient encore qu’il peut y avoir du travail ou ne pas en avoir et que, par ailleurs, il peut exister de très bonnes raisons pour qu’un individu n’exerce pas de travail, quand bien même du travail serait disponible. Il ne leur serait donc pas venu à l’esprit que celui qui ne travaille pas ne doive pas manger.

En Allemagne, le Ministère des finances s’efforce de retracer dans le guide de son musée 5000 ans d’histoire des impôts : « Tout a commencé avec la dîme ». Ce que ne dit pas le Ministère allemand des finances, c’est, d’une part, que cette information est parfaitement inexacte, mais aussi qu’aujourd’hui, même pour les personnes à faible revenu, on ne s’arrête pas même à la moitié de leurs ressources, puisqu’aux contributions sociales et aux impôts directs s’ajoutent d’innombrables taxes et redevances indirectes. En outre, la dîme inventée par les israélites il y a environ 2500 ans était un prélèvement qui devait garantir le droit naturel de chacun à la nourriture et au logement aux étrangers, aux veuves, aux orphelins, etc., et le consensus voulait qu’elle ne soit utilisée qu’à cette fin, les lévites ne pouvant conserver qu’un dixième de ce dixième, soit 1 pour cent.

Par la suite, le clergé chrétien reprit l’idée de la dîme et en modifia l’affectation en 722 après Jésus-Christ : « Il devra diviser en quatre parts les revenus de l’église et les dons des fidèles : il conservera une part pour lui, répartira la deuxième part entre les gens d’église selon leur zèle dans l’exécution de leurs devoirs, distribuera la troisième part aux pauvres et aux étrangers, et mettra de côté la quatrième part pour la construction d’églises. » À dater de ce jour, les lévites européens conservèrent les trois quarts de la dîme, la part destinée au but originel étant donc réduite à 2,5 pour cent.

Ce furent les « Bills of Rights » qui permirent à la société de ne plus s’occuper non plus des personnes gravement malades. Avec pour conséquence qu’aujourd’hui, aux États-Unis, de nombreux médecins et personnels de santé se retrouvent volontairement chaque dimanche dans des hôpitaux pour sauver gratuitement par des traitements et des opérations ceux qui ne peuvent pas se payer d’assurance-maladie. Étant donné que ces personnes ne retirent aucun revenu de leur initiative, cette activité – si l’on suit la nouvelle définition selon laquelle seul le travail rémunéré est travail – ne peut pas constituer un travail.

La phrase de Paul et d’Hitler selon laquelle celui qui ne travaille pas ne doit pas manger a nécessairement conduit au contrôle des ressources de chacun, le travail n’étant à cet égard reconnu comme travail que s’il est rémunéré. Selon cette définition, l’activité consistant à envoyer des millions de gens à la mort est donc un travail, et celle de sauver des vies par des traitements et opérations n’en est pas un. En effet, l’une de ces activités a été compensée financièrement, l’autre non.

rauf_-_up_97916_page131Il n’y aurait certainement rien à redire à un contrôle des ressources si ce dispositif servait à empêcher que l’on se prélasse sur un hamac à Bali plutôt que de travailler. On peut néanmoins se demander sur quelle source se base l’affirmation selon laquelle un revenu de base inconditionnel pousserait les gens à se prélasser sur un hamac à Bali plutôt que de travailler. Cet état de fait n’a pourtant pas été confirmé par une série d’études de terrain menées entre 1969 et 1982. Il est prouvé et établi scientifiquement qu’avec un revenu de base inconditionnel, dans des conditions garantissant l’existence, les mères célibataires réduisaient leur temps de travail entre 12 et 28 pour cent, tandis que la majorité des hommes continuaient simplement à travailler comme avant. Par contre, le taux de divorce connaissait une baisse significative, et les résultats scolaires des enfants du groupe test changeaient également : « L’amélioration des résultats des tests de lecture était statistiquement significative pour les élèves entre la 4ème et la 6ème année d’école. La capacité de lecture des enfants les plus jeunes progressait donc de façon remarquable. En revanche, aucun effet positif n’a été observé chez les élèves plus âgés, entre la 7ème et la 10ème année d’école. Plus une famille avait appartenu longtemps au groupe expérimental, plus leurs enfants avaient de chances d’améliorer fortement leurs résultats. Les améliorations les plus fortes ont été enregistrées chez les enfants issus des familles participantes les plus pauvres (celles pour lesquelles les sommes transférées étaient les plus importantes). Ces enfants profitaient donc le plus de la garantie d’un revenu plus élevé. La probabilité que des jeunes issus de familles pauvres bénéficiant d’un tel programme accomplissent leur scolarité obligatoire (10 ans) est supérieure de 20 % à 90 % à celle des jeunes du même groupe d’âge appartenant au groupe de contrôle. »

Aucune comparaison entre les charges supplémentaires générées par la réduction du temps de travail d’un groupe très réduit et les économies résultant de la baisse du taux de divorce et de l’amélioration des résultats scolaires des enfants n’a été effectuée, pour des raisons compréhensibles. On aurait risqué de démonter qu’un revenu de base inconditionnel aurait coûté moins cher à la communauté que le maintien des pratiques actuelles. Une analyse plus détaillée montre en effet que 32,3 % des bénéficiaires d’aide sociale sont des enfants de moins de 15 ans, 37 % des jeunes de moins de 18 ans, 8,4 % des parents célibataires, qui reçoivent des aides sociales sans devoir travailler s’ils ont à charge un enfant de moins de 3 ans ou 2 enfants de moins de 7 ans, 9,7 % des personnes âgées de plus de 60 ans, et 4,7 % des personnes bénéficiant d’aides sociales en raison d’une maladie, d’un handicap ou d’une inaptitude au travail. Soit au total 92 % qui ne sont absolument pas disponibles pour le marché du travail, qu’ils reçoivent ou non un revenu de base inconditionnel.

La modernisation de l’être humain rendue possible par cette phrase d’un prédicateur errant et d’un criminel, selon laquelle qui ne travaille pas ne doit pas manger, se serait sans doute limitée à leurs partisans si, il y a 200 ans, un individu qui s’imaginait philosophe s’en était tenu à la fréquentation des pubs et à sa pinte plutôt que d’assister aux cours magistraux. Cela semble probable au vu de la conclusion erronée connue depuis longtemps sous le nom de « fausse dichotomie » et dont  les dirigeants des Etats ont ensuite fait une réflexion pratique pour servir leurs propres fins : « Qu’est-ce qui est le plus important : le bonheur général de la société ou le bonheur personnel de l’individu? »

Une phrase touche à la perfection formelle lorsqu’elle parvient à imposer un choix entre deux propositions sous la forme d’un soit/soit là où une telle alternative n’existe pas, sans que personne le remarque. Si, par-dessus le marché, l’un des éléments constitutifs de la phrase est le produit d’une mauvaise traduction, la bêtise est programmée d’avance. Si ce philosophe avait fourré son nez un peu plus dans les textes philosophiques et un peu moins dans son verre de  bière, il aurait découvert que le concept auquel renvoie le mot eudémonie n’a rien de commun avec le concept associé au mot bonheur. La phrase suivante lui a ainsi échappé :

« Sur ce qu’est l’eudémonie, les opinions divergent, et les gens ne sont pas du même avis que les sages. Ceux-ci (les gens) y voient en effet une chose visible et tangible telle que le plaisir, la richesse ou l’honneur ; et c’est pour l’un telle chose, pour le second telle autre chose, parfois différentes choses pour le même individu : s’il est malade, c’est la santé, s’il est pauvre, c’est la richesse. »

Ce par quoi Adam Smith émettait ce jugement sur lui-même : je suis les gens. Et devenait l’initiateur des idéologies capitalisme et communisme. Désormais, les érudits débattent pour savoir si c’est la peste ou le choléra qui mène au bonheur général de la société et au bonheur personnel de l’individu.

Les termes de perception de soi et de perception de l’autre désignent deux phénomènes différents : la manière dont une personne se voit et la manière dont les autres voient cette personne. Les psychologues se préoccupent donc, depuis la perspective de la perception de l’autre, de l’illusion de la perception de soi. Peut-être examinera-t-on un jour aussi l’illusion de la perception de l’autre, c’est-à-dire la manière dont une personne, dans sa perception de soi, voit les autres, et les raisons sous-jacentes. Il est fort possible que l’on découvre que, si certains soupçonnent qu’en l’absence de contrainte, les autres se prélasseraient dans un hamac et y vivraient de l’argent du peuple travailleur, c’est parce que c’est ce qu’ils feraient eux-mêmes, et qu’ils concluent de manière erronée que les autres feraient de même. Car les gens voient dans le bonheur une chose visible et tangible : s’ils sont malades, la santé, s’ils sont pauvres, la richesse, s’ils travaillent, du temps libre et s’ils sont chômeurs, du travail.

Il ne nous reste qu’à souhaiter que tous ceux qui estiment qu’avec un revenu de base inconditionnel, les gens se prélasseraient dans des hamacs, parce qu’un enfant de chœur, un commerçant de détail, un délinquant et un servant de messe l’ont affirmé, appliquent cette règle d’action formelle pour la résolution d’un problème qui est toujours utile lorsque l’esprit se met à dérailler : goûter. Il faut avoir goûté une chose pour en connaître la saveur. Le reste n’est que divagation. Le seul dommage serait que les cyclistes devraient se trouver une autre victime.

[1] N.D.T. Il s’agit de Joschka Fischer, Gerhard Schröder et Peter Hartz
[2] N.D.T. Norbert Blüm

Traduction: Cyrille Flamant

deDas Radfahrerprinzip

Calcul de base

troll-imadeWEB-1Ónytjungur : Admettons que tous les participants à la production de biens travaillent contre rémunération ; on doit bien en conclure que le coût du travail augmenterait avec chaque nouveau participant ?

Tilvera : Eh bien, il suffit de savoir compter pour…

Ónytjungur : Admettons encore que toutes les entreprises calculent de manière à réaliser un profit ; dans ce cas, chaque nouvelle entreprise à but lucratif ajoute à ses coûts de production ses frais généraux et sa marge bénéficiaire.

Tilvera : Affirmer autre chose serait…

Ónytjungur : Alors je te prie de m’expliquer comment il se peut qu’un service que j’ai obtenu gratuitement soit plus cher que le même service qu’une entreprise à but lucratif me facture sur la base de ses frais généraux et de sa marge bénéficiaire.

Tilvera : Seul un benêt connaissant mal les opérations de calcul de base pourrait accepter une telle absurdité.

Ónytjungur : Ce qui augurerait mal des connaissances en calcul de base dans le pays d’où je viens. À une époque, un prestataire de service aidait gratuitement les chercheurs d’emploi à trouver un nouveau poste, car ceux-ci étaient, par le biais d’une ponction sur leur revenu, les employeurs du prestataire. J’ai constaté qu’aujourd’hui, ce service est assuré par 6671 entreprises à but lucratif qui en retirent un chiffre d’affaires annuel de 19,1 millions d’euros en vendant leurs 856195 biens, qu’elles-mêmes ont obtenus gratuitement. Si mes calculs sont bons, ceci n’entraîne-t-il pas une augmentation du coût annuel du travail, puisqu’il faut y ajouter les frais généraux et la marge bénéficiaire de ces 6671 nouveaux prestataires ?

Tilvera : Eh bien, il est clair qu’une fois dans ta vie, tu as rencontré un professeur capable de t’enseigner ce que les gens attendent en général du calcul. Mais tu sais sans doute également qu’une règle n’énonce que le fait qu’il existe des exceptions. La question qui se pose serait donc avant tout celle de cette attente, le calcul n’a rien à voir là-dedans.

Ónytjungur : Ce qui expliquerait que là-bas, une seule et même personne  a pu affirmer que 571 n’était pas supérieur ou inférieur à 844, mais égal, sans être contredit.

Tilvera : Maintenant, tu exagères.

Ónytjungur : Aucunement. Là-bas, ils expliquent qu’ils ne prélèvent aucune contribution sur les besoins vitaux de l’être humain, c’est-à-dire sur les choses dont l’homme a absolument besoin pour pouvoir survivre physiquement selon les lois de la nature. Et ils ajoutent qu’ils assureront la satisfaction de ces besoins vitaux pour les personnes incapables de le faire par elles-mêmes.

Tilvera : Ce qui fait sens. C’est bien là une condition de base pour une communauté : sans cela elle n’en serait pas une. Par ailleurs – si les choses n’étaient pas comme tu les décris – se poserait aussi la question de ce qui pourrait justifier la prétention à prélever une part de tout revenu dépassant le minimum vital, si en contrepartie on ne couvrait pas les besoins vitaux de ceux qui ne sont pas en état de le faire eux-mêmes, pour quelque raison que ce soit. Il ne s’agit bien que de couvrir les besoins vitaux, et rien de plus.

Ónytjungur : C’est bien cela.  Mais alors comment est-il possible qu’une seule et même personne, dans un même instant, doive accorder à une personne incapable de couvrir elle-même ses besoins vitaux une somme d’au moins 844€, car les faits l’y contraignent, étant donné qu’avec moins, cette personne ne serait pas en mesure de se nourrir à sa faim et de s’abriter dans une petite chambre, tandis qu’au même endroit, à celui qui est capable de subvenir lui-même à ses besoins et au-delà, on n’accorde qu’une somme maximale de 571€ ?

Tilvera : Parce qu’en matière de théories, les gens ne se laissent pas troubler par les faits ?

Ónytjungur : Ce qui expliquerait que là-bas, les besoins vitaux aient été divisés en 150 types de prestations qui sont ensuite distribuées par 40 administrations différentes.

Tilvera : Laisse-moi deviner : les différentes prestations doivent être rassemblées et décomptées dans un système de contrôle et de calcul complexe de manière à ce que le résultat final soit toujours le même chiffre, et ce quel que soit le nombre de prestations et les administrations à l’origine des versements.

Ónytjungur : Là-bas, une personne démunie sur quatre doit attendre des prestations prioritaires qui ne sont pas versées à temps.

Tilvera : Ce qui voudrait dire que le système n’empêche pas seulement la pauvreté, mais qu’il la produit aussi.

Ónytjungur : Abandonner la capacité à calculer et confier cette tâche aux ordinateurs s’est révélé une grave erreur.

Tilvera : Mais les ordinateurs calculent plus vite.

Ónytjungur : Alors il est vraiment surprenant que depuis lors, salaires et appointements n’y soient versés au plus tôt que le 12 du mois suivant. Quand j’avais douze ans et que je calculais moi-même chaque samedi le salaire hebdomadaire des ouvriers du bâtiment, en notant au stylo-bille salaire brut, taxes, charges sociales, salaire net, etc. sur les fiches de paie pendant que le patron allait chercher l’argent liquide à la banque, tous les décomptes de salaire étaient prêts chaque samedi avant midi pour que la secrétaire puisse répartir l’argent et les fiches de paie dans les enveloppes avant que les premiers ouvriers se rassemblent en file devant le bureau. Peux-tu t’imaginer ce qui serait arrivé si les salaires n’avaient été virés sur un compte que le 12 du mois suivant, parce qu’il m’aurait fallu tout ce temps pour calculer les salaires ? Et n’oublie pas qu’à l’époque, ces ouvriers pouvaient encore puiser dans leur épargne pour patienter jusque-là.

Traduction: Cyrille Flamant

deGrundrechnen